mercredi 4 avril 2012

From Denis Robert - Version "non corrigée"

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Nous sommes le dimanche 25 mars, il est 19 h 09. Je me suis donné une heure (pas plus) pour écrire cette chronique à laquelle je pense, par intermittence mais de plus en plus, depuis le rappel de Télérama. C’est une contrainte formelle que je me fixe parce que le sujet est aussi vaste que la ligne de train qui relie Madras à New Delhi que j’ai prise en 1981 sur laquelle j’ai toujours eu envie de revenir pour écrire un livre, sauf que Tabucci l’avait déjà fait et qu’il est mort ce soir. Je tiens sa mort pour l’événement le plus important des actualités du jour, voire de la semaine.

Cette heure consacrée à Télérama n’est pas une posture à la Pérec, ni un embarras. La règle du jeu est de dire à un instant t ce que l’on pense et ressent de la campagne par le texte, le dessin, la photo ou tout autre moyen. Une heure à zéro euro de l’heure. En grattant ce présidentiel billet, je mets ainsi en application le slogan phare de cette demie décennie sarkoziste : Travailler plus sans toucher une thune.

Plus que cinquante-neuf minutes, donc.

Je voudrais commencer par évoquer Javier Cercas. Dans une chronique du Monde du 19 novembre 2011 consacrée à la difficulté d’écrire, il cite une phrase d’Ezra Pound : Je tiendrai des propos que peu de personnes peuvent se permettre de dire car ils mettraient en danger leurs revenus ou leur prestige dans leurs mondes professionnels, et qui sont uniquement à la portée d'un écrivain libre. Etant donné la liberté dont je jouis, je suis peut-être un imbécile d'en faire usage, mais je serais une canaille si je ne le faisais pas.

C’est formidable la liberté. Mais c’est difficile d’écrire, surtout quand on est écrivain. Je veux dire, quand on pense à ça tous les jours, quand c’est cela qui vous fait vire. A me lire, vous avez peut-être le sentiment que j’enquille les signes comme autant de verres un soir d’ivresse. Pas du tout. Cela fait un an que je n’écris plus. J’ai publié environ vingt bouquins en vingt ans, autant d’essais que de romans, mais depuis trois cents jours, que dalle… Je me suis arrêté au beau milieu d’un livre et d’une réflexion sur la fiction. Est –elle le meilleur moyen de dire le réel ? Le nez en l’air. Le blocage parfait. Tous les jours, vous croyez que le cerveau va se reconnecter et puis rien. J’avais entrepris un livre très politique. Au début, c’était facile. Les bons, les méchants, les gris, les journalistes, les sarkozistes, les socialistes, les pauvres, cette façon qu’ils ont de les ignorer… Et puis, rien. La vie m’a rattrapé. La victoire après dix années de guérilla et de confrontation avec Clearstream et une partie de la presse. Cette impression d’avoir tout dit et tout écrit sur les banques, les traders, les paradis fiscaux, les mafias, la finance, l’absence de réaction du politique, la déconnection du judiciaire.

La facilité est le pire ennemi de l’écrivain. C’était le thème de la chronique de Javier Cercas qui m’a tant marqué : L'écriture doit être comme la vitre d'une fenêtre, qui est là sans que l'on s'en rende compte. Il citait un critique littéraire allemand à qui on avait demandé ce qu’était un écrivain : " Quelqu'un pour qui l'écriture est plus difficile que pour les autres. " avait répondu Marcel Reich-Ranicki. Et Javier d’enchaîner : Tout écrivain sérieux fait face à un paradoxe: plus il écrit, plus cela devient facile pour lui ; mais plus il devient facile pour lui d'écrire, plus la facilité devient suspecte, jusqu'à ce qu'il découvre enfin que c'est elle, la facilité, le pire ennemi de son travail.

J’en suis là avec ces élections. Il est 19 h 16. Je pourrais facilement évoquer de ce que je connais bien. J’ai rédigé une note pour François Hollande et une autre pour Jean Luc Mélenchon où j’ai résumé un argumentaire (1) pour effectivement batailler contre les prédateurs financiers. Je connais beaucoup de leurs tours de passe-passe. Je suis fatigué d’entendre les candidats à la présidentielle dire aux foules que leur ennemi c’est la finance, ou que si on vote pour eux ils sauront lutter contre les paradis fiscaux, les exilés fiscaux, les méchants patrons. Promesses de bateleur. L’appel de Genève lancé avec mes amis Garzon, Van Ruymebeke et Bertossa remonte à 1996. Seize ans... La solution au problème de la dilapidation des biens publics était contenue dans ces lignes (2) et depuis, rien ne s’est passé ou presque. Aucun espace judiciaire européen. Aucun moyen donné aux juges engoncés dans leurs frontières pour ralentir la course folle des capitaux (et des capitalistes) apatrides.

Le lobby bancaire est le plus puissant du monde, à Londres comme à Francfrort, Paris ou Bruxelles. Sans faire de parano, force est de reconnaître que Goldman Sachs - pour ne citer qu’elle- a placé en Occident et aux USA une bonne trentaine de ministres ou de conseillers de Président. Cette banque d’affaires américaine a réussi le tour de force de s’enrichir en conseillant la Grèce. Si Goldman Sacxhs avait été un syndic de faillite, il serait déjà en taule depuis longtemps. Passons. Je pourrais encore développer quelques idées faciles à mettre en application pour récupérer des centaines de milliards planqués dans les paradis fiscaux. Il ne faut pas se contenter de haranguer les banquiers, il faut réfléchir aux circuits, cerner la pompe qui alimente Cayma, Jersey ou Luxembourg, la contrôler. Savez-vous que Clearstream a annoncé en janvier 2011 avoir conservé dans ces coffres 11,4 trillions d’euros ? 0nze mille deux cents milliards d’euros (3). C’est la clé. Le talon d’Achille du capitalisme clandestin. Passons

Ces élections m’intéressent, me passionnent parfois. J’ai suivi les débats à la télévision. Je connais plusieurs des candidats. Avec certains j’ai déjeuné. Avec d’autres, j’ai conversé. On m’a proposé de franchir le pas, de me présenter à des élections européennes, législatives... Je suis parfois tenté en particulier quand je mesure la compromission, l’inculture et la bêtise de certains dominants, mâles ou femelles. Je me dis alors, plutôt que râler, vas-y… Je finis toujours par décliner, par penser que ma mission est ailleurs. Dans les livres, les films, les galeries d’art. Peut-être ai-je tort ? Peut-être que si ça va très mal, je me lancerais, j’irais au combat. Ce ne peut être qu’un combat. Je connais le back-ground, l’arrière-cuisine.

Je sais exactement pour qui je vais voter. Au premier tour, comme au second.

La seule question qui vaille aujourd’hui, comme hier (et encore plus aujourd’hui après l’affaire de Toulouse) pourrait se résumer ainsi : Nicolas Sarkozy et sa bande réussiront-ils à nouveau à draguer (et donc à baiser) une majorité de Français ? Car il s’agit de cela. Il me reste trente minutes. Je vais essayer d’affiner ce raisonnement. Je me branche sur un site porno.

Une fille en petite jupe rose grimpe des escaliers. Elle s’appelle Monica, elle a 19 ans. C’est écrit en sous-titre. Elle monte des marches. La caméra la filme de dessous. La musique est vaguement planante. L’endroit est lumineux. Le soleil est très présent à travers les stores. On doit être sur un bateau. La fille se retourne et dit face caméra :

- Hello tu veux voir ma petite chatte ?

Elle s’exprime en anglais. Elle répète :

- Hello tu veux voir ma petite chatte ?

Aussitôt, une voix d’homme lui demande de se présenter. Elle dit son âge et qu’elle aime se faire baiser. Il lui demande si elle peut montrer ses seins. Elle descend une bretelle de sa robe de coton et montre un premier sein assez volumineux en forme de pamplemousse. Puis elle sort l’autre. Elle est blonde, elle sourit.

Il y a quelque chose de parfaitement hypnotique dans la manière de communiquer de Nicolas Sarkozy et ceux qui répètent comme des canards décérébrés ses slogans. Ses aboyeurs, ses aboyeuses. Il y a quelque chose de parfaitement répétitif et de très vulgaire dans ce spectacle politique. Leurs mots, leurs regards, leurs expressions, leurs simulations.

Le type dit : Waouh ! Tu peux les masser ?

- Oui bien sûr, répond Monica.

Elle a un fin tatouage sur l’épaule. Un papillon.

- Tu as envie de te caresser la chatte ? demande le gars

La fille répond :

- Oui un petit peu

Elle se couche, puis se retourne sur un long sofa gris clair et glisse trois doigts sur sa chatte épilée. C’est filmé en gros plan. Ses ongles sont vernis, ses doigts fins et longs. Le cuir du divan marque quelques plis. On entend des frottements.

- Comment aimes-tu être caressée ? demande l’homme qu’on ne voit toujours pas.

- Parfois les doigts dit-elle mais je préfère les bites

- Les bites !, s’étonne l’homme.

Je comprends à cet instant qu’il est le caméraman.

-Oui , dit la fille

- Quand un gars te fait l’amour tu aimes le prendre comment ? questionne le gars sans la laisser respirer.

- Parfois la bouche, parfois la chatte.

Elle hésite et ajoute :

- Parfois l’anus

On entend le gars rire et répéter anus. Elle rit aussi avec toujours ses deux gros seins qui tiennent trop droit pour être honnêtes. De temps en temps, elle se pince les tétons. Elle fait ça l’air de rien.

- C’est magnifique, dit le caméraman. Qu’aimerais-tu faire en premier si tu pouvais choisir maintenant ?

- Sucer une bite, répond Monica en fixant la caméra.

Elle sourit et ouvre légèrement la bouche en faisant glisser sa langue sur ses lèvres.

- Bon ben je vais te présenter quelqu’un, répond le caméraman.

ll y a quelque chose d’obscène dans la manière de mener campagne à l’UMP, de promettre ce qu’ils n’ont jamais tenu, de flatter les instincts les plus bas, de jouer sur l’amnésie des esprits les plus fragiles. Il y a quelque chose de parfaitement pornographique chez Nicolas Sarkozy et ses amis. Enfin, je dis amis. Disons, ses affidés, ses sous fifres, ses serviteurs, ses jeunes pops, ses ministres. Balkany, Morano, Gaudin. Avant-hier, Morin et Boutin. Hier, Borloo.

Un type entre dans le champ, pantalon clair, blazer bleu et polo noir. On ne lui voit pas sa tête, mais il pose une casquette de marin sur le divan. La fille est filmée en gros plan

- Hello, fait-elle

- Hello, dit le gars

Et elle s’enfourne sa grosse bite molle dans la bouche. Elle est filmée de dos. Elle a toujours les seins à l’air, mais elle reste habillée. Il bande très vite.

-Oui , fait le gars… c’est bon … Ahha

- Ohhh, fait la fille

- Enculé, fait le gars.

- Mmmm, fait la fille

C’est plus silencieux. On voit la tête du gars en contre champ. Il a les cheveux gris très bien peignés, la soixantaine. Il est musclé, sans tatouage sur le buste ou les épaules. Le look et l’accent d’un secrétaire de section marseillais. Elle le pompe avec la main. La caméra filme les fesses de la fille pendant qu’elle continue à sucer. Elle porte un string rose sous sa minuscule jupe en coton. Le gars entre directement deux doigts dans son cul en écartant le string. Quand la caméra revient sur lui, il est déjà nu. Il a un tout petit peu de bide. On revient sur la fille :

- Tu aimes ça ? demande-t-elle en le branlant plus vite

- Oh oui , dit le gars

- Oh oui , répond la fille.

Il s’est passé 5 minutes et 44 secondes depuis le début de la vidéo. On est sur rompmovies.com. Le chrono du film indique qu’il va encore durer 20 minutes et 15 secondes.

L’acteur a un petit tatouage en haut d’une fesse, une ancre de marine. Il dit à la fille qu’il va s’occuper maintenant de sa chatte. Et il la retourne sans douceur. Le caméraman élargit son plan. Une plante verte placée derrière le divan, légèrement à gauche entre dans le champ. C’est un yucca, le même que ceux qu’ils avaient à Villepinte à l’entrée du show de Sarkozy. La fille fait Mmmm. Elle se retourne, écarte ses jambes. Le gars y met deux doigts, les enfonce. Il a une boucle d’oreille discrète et une chaîne en or très voyante. La fille redouble de Mmmm et se touche les seins avec application. Elle fixe la caméra sourit. La chaîne frotte bruyamment contre ses fesses. Elle gémit. Le gars souffle. Et il y va. L’index. Puis l’index et l’annuaire.

- Ohhh c’est si bon baise ma chatte, maintenant, dit la fille en jetant sa tête en arrière vers le yucca qui est à deux doigts de tomber. A peine quinze minutes au compteur. Petit panoramique arrière. On découvre un bar et un balcon qui donne sur une mer bleue. Le moment que choisit la fille pour se retourner et se mettre à quatre pattes s’offrant au gars qui crache sur ses fesses.

- Tu veux baiser mon cul maintenant ? demande Monica.

Elle enlève sa petite robe et son string. Le gars est couché sur le divan. Elle s’assoit sur lui. Elle se caresse en même temps qu’elle monte et descend. On voit le yucca en arrière-plan qui monte et descend aussi. Il est 19 h 45. On est dans un yacht qui ressemble à celui de Bolloré. Le rythme s’accélère. Pas de grands cris. Beaucoup d’application de part et d’autre. On revient sur la fille qui esquisse un « Oh ouiiii… ». Le gars gémit. Il enlève ses mains des fesses de Monica, la retourne. Un bahut en bois d’ébène apparaît dans le champ à 19h50. Le yucca est à nouveau présent, avec la mer au loin. Le caméraman zoome sur la plante verte et revient sur les deux partenaires. Il lui malaxe les fesses, la retourne. Elle lèche ses doigts. Elle se branle encore un peu, récupère du sperme sur la paume la lèche, en fixant la caméra et en lançant un cri guttural. Une sorte de « han han » venu du fond de la gorge. Le gars a l’air satisfait. Il a le même sourire faux derche que Jean François Copé (4) quand il dit souhaiter une victoire de Nicolas Sarkozy à la prochaine présidentielle.

Il faudrait inventer des appareils capables de mesurer notre degré de solitude après le visionnage d’une film pornographique. On pourrait comparer cette expérience de vide télévisuel avec celle d’un discours politique. Avant d’être une industrie masturbatoire, la pornographie est l’art de montrer ce qui est obscène. Le spectacle de ces hommes et femmes politiques au pouvoir depuis cinq ans qui ont fait renaître dans ce pays les sentiments les plus vils, les comptabilités les plus louches (5) est obscène. On brancherait des électrodes sur notre crâne et sur un écran apparaîtrait un indice mesurant notre perplexité après une pipe de Tiffany Hopkins ou une promesse de campagne de Nicolas Sarkozy. On mesurerait l’influence de ces séquences sur notre métabolisme, le vide de nos existences, nos renoncements, notre dégoût, nos difficultés à imaginer une suite cohérente à l’histoire de ce pays, cette honte qui nous parcourt parfois quand la fatigue nous gagne.

Quand la politique n’est que de la communication, quand les journalistes rivalisent de faiblesses, elle devient pornographique. Les deux activités sont déceptives et laissent un grand vide quand l’écran s’éteint et qu’on retourne bosser. Dans les deux cas, on se fait baiser. Je sais c’est facile. Mais bon. Il est 20 heures 15. Mon heure est écoulée. Nicolas Sarkozy est un homme politique essentiellement pornographique.

DR

(1) voir note jointe

http://www.telerama.fr/idees/note-pour-francois-hollande-et-jean-luc-melenchon,79345.php

(2) http://fr.wikipedia.org/wiki/Appel_de_Genève

(3) http://www.paperjam.lu/communique_de_presse/fr/activité-de-clearstream-pour-le-mois-de-janvier-2011

(4) Jean François Copé concentre ce que je déteste dans le spectacle politique. Le boulot d’avocat d’affaires cumulé à sa fonction de secrétaire général de l’UMP, le mépris du peuple, les vacances avec les vendeurs d’armes et l’arrogance. Il sourit tout le temps surtout chez Laurent Ruquier le samedi soir.

(2) Je pense aux phrases de haine et d’exclusion de Brice Horfeux sur les Roms l’été 2010. Je pense à la Rolex de Ségueila. Je pense à Laurent Wauquiez qui se fait financer en douce par des traders à Londres pour nous vendre ses idées moisies sur l’assistanat. Je pense aux vacances d’Alliot-Marie en Tunisie et aux cadres de la police française proposés pour mater la rébellion. Je pense à Rachida Dati quand elle était Garde des Sceaux en escarpin Dior. Je pense aux promesses de Nicolas Sarkozy au G20 sur la fin des paradis fiscaux et à sa tirade complètement déplacée sur son rôle dans le Karachigate. Je pense aux insupportables minauderies de Carla Bruni. Je pense au sourire et aux joues rouges de Claude Guéant devant les caméras à Toulouse, leurs dernières cartouches…